LE GOÛT DE L'ANJOU CHEZ M'LIRE ANJOU

A l'occasion de la sortie du livre Le Goût de l'Anjou (aux éditions du Mercure de France), nous recevrons en rencontre-dédicace BRUNO DENIEL-LAURENT le samedi 24 septembre 2016 afin qu'il nous parle de cette très belle anthologie consacrée à l'une des régions les plus singulières de France. Rencontre à 15h à la Médiathèque du Pays de Château-Gontier et dédicace vers 16h15 à la librairie. Venez nombreux pour cette balade littéraire en Anjou!

CHRONIQUE DU PREMIER ROMAN D'ANNE COLLONGUES

Quitter Paris pour rejoindre la banlieue. Un soir de février dans une rame de RER. C’est le postulat temps/lieu de Ce qui nous sépare. En route la troupe ! Elle se compose de Marie, Laura, Alain, Franck, Chérif, Liad et Cigarette. Ils ne se connaissent pas, ne se sont jamais croisés. Où vont-ils ? Vers qui ? Vers quoi ? Qu’est-ce qui les attend sur l’un des prochains quais froids ? Ils sont ensemble mais seuls. Ils ne se parleront pas. Ils avancent et pourtant ce long trajet sera l’occasion de braquer un regard franc sur leur passé en attendant d’agir pour leur futur. Ce temps de transport est une parenthèse introspective où les pensées se bousculent dans le silence de leurs inquiétudes, de leurs frustrations ou de leurs désillusions. Façon puzzle peinture impressionniste, pour chacun d’entre eux, Anne Collongues compose leurs vies. Celles qui ressemblent aux nôtres, à nous lecteurs. Des vies ordinaires faites de lumières et d’ombres. D’espoirs et de cassures. Si le RER file droit, le chemin de chacun des personnages n’a rien de rectiligne. L’existence et ses virages. Les rêves par déviations. Les perspectives en cul de sac. L’auteure nous fait entrer avec beaucoup de pudeur et de bienveillance dans les pensées intérieures de ces passagers qui sont les mêmes que vous avez croisés aujourd’hui dans les transports en commun. Dans ces histoires de vie, Anne Collongues y mêle la banalité des quotidiens à l’unicité de chaque existence. L’ordinaire au précieux. L’écriture est belle, fluide, elle a souvent une musique comme celle du vent. Elle est sensible, attentive et attentionnée. Elle capte quelque chose de notre humanité et c’est ça qui m’a touché. Tout comme les changements que ce trajet va insuffler à leur avenir. Il y a peut-être quelque chose du style, de l’univers d’Olivier Adam dans ce premier roman, mais ce qui est sûr c’est que Ce qui nous sépare a tout d’un RER nommé plaisir. (Christophe)

INTERVIEW ALEXANDRE CLERISSE


Faire face à la couverture de L’Eté Diabolik, c’est être envoûté et hypnotisé par le regard rose, inquiétant et soutenu d’un personnage légendaire de la culture populaire italienne des sixties. Tourner les pages de ce magnifique album de la paire Smolderen/Clérisse (en 2013, ils nous avaient déjà mis à genoux avec Souvenirs de l’empire de l’atome) c’est plonger entièrement dans un roman graphique d’initiation plein de rebondissements. C’est ressentir l’explosion de couleurs d’un été en Aquitaine dans les années 60. Antoine a 15 ans, il s’apprête à passer de bonnes vacances entre parties de tennis avec son nouvel ami Erik et sorties diverses sous influence hormonale. L’été de toutes les expériences ? Les mystères qui entourent les drôles de comportement de son pote et surtout ceux de son père vont vite obscurcir le tableau quasi psychédélique qu’a peint ce virtuose qu’est Alexandre Clérisse. Figure montante et brillante de la BD française, ce graphiste-illustrateur nous entraîne ici dans une composition riche et novatrice qui ravira votre œil page après page. Porté par un sublime scénario, L’Eté Diabolik, paru en janvier chez Dargaud, est un bijou de la taille d’une boule à facettes. Admiratif d’un bout à l’autre de cette œuvre (n’ayons pas peur du mot !) indispensable, il m’était impossible de ne pas me mettre en contact avec son artiste. DiaBEAUlik !


Alexandre, quel est votre parcours ? Quelles influences majeures constituent le socle de votre style ?
Je voulais faire de la BD très tôt mais j’ai d’abord fait des études de graphisme, puis je suis revenu vers l’ESI (l’Ecole européenne supérieure de l’image) d’Angoulême. Grâce à Thierry Smolderen, un de mes professeurs, j’ai participé au site internet www.old-coconinoworld.com ce qui m’a permis de faire mon premier album Jazz club chez Dargaud en 2006. Après 3 ans en résidence à la maison des auteurs à Angoulême, j’ai intégré un atelier (« le gratin »), toujours à Angoulême, que nous partageons à dix. Depuis Souvenirs de l’empire de l’atome, j’ai entamé une collaboration avec Thierry Smolderen mais je travaille régulièrement en graphisme ou en illustration. Mes influences sont très larges. En bd bien sûr cela va de Franquin à Chris Ware en passant par Prudhomme mais je vais chercher d’autres choses plutôt du côté du cinéma d’animation, de la peinture, de l’illustration, du graphisme.


 Quelles sont vos aspirations graphiques en tant que dessinateur et illustrateur professionnel et reconnu ?
J’aimerais bien trouver un univers graphique fort qui me permette de raconter beaucoup choses variées (comique comme tragique ) et qui me permette d’explorer tout type de narration formelle.
Comment qualifieriez-vous L’Eté Diabolik ? En quels termes parleriez-vous de ses couleurs ?
Tout comme Souvenirs de l’empire de l’atome, L’Eté Diabolik est une tentative de retranscrire l’ambiance d’une époque, pas seulement par le décor et les costumes mais surtout par les codes graphiques de l’époque. Je parlerais des couleurs plutôt en termes musicaux, les gammes et les accords de couleurs donnent la tonalité qui plonge le lecteur dans les années 60. La couleur est à la base de mon dessin d’autant plus que j’essaie d’évincer le trait au maximum en jouant sur les chocs entre deux couleurs et non sur le contraste.

Avant même de vous lancer dans ce projet, quelles étaient les prérogatives artistiques et stylistiques ?
Notre désir, dans ce genre d’ouvrage est de rendre hommage à une époque mais surtout à tous « les créateurs de l’ombre » qui œuvraient dans la culture populaire. Souvent dénigrés ou oubliés, ils ont influencé des générations de créateurs dans tous les domaines et laissé une empreinte indélébile dans l’imaginaire des jeunes lecteurs. L’idée était d’étudier tous les codes qu’ils avaient mis en place et comprendre ce qui les inspirait. Mais bien sûr cela devait rester en arrière-plan car nous souhaitions d’abord faire une histoire de fiction entraînante avec du mystère mais aussi de la psychologie. En aucun cas, nous souhaitions faire un album de nostalgie ou « post moderne » mais bien rester dans une bande dessinée actuelle. 

Avez-vous passé beaucoup de temps à vous documenter sur l’esthétique de l’époque à laquelle l’histoire se déroule ? Que vouliez-vous qu’il s’en dégage ?
Lorsque Thierry Smolderen me donne le scénario, il vient accompagné de dizaines d’ouvrages d’art, de BD, de magazines et d’une clé remplie de documents et de films. Chaque séquence est référencée à un film, à des illustrateurs ou des designers, etc… qui peuvent parfois n’avoir rien à voir les uns avec les autres. Je passe alors beaucoup de temps à décortiquer tout cela, analyser les alliances de couleurs, les types de mises en page et de cadrages, les postures des acteurs. Je dois alors faire abstraction de tout cela pour retranscrire cela à ma manière.

Comment travaillez-vous ? De quels outils vous êtes-vous servis pour réaliser toutes ces pages ?
Je travaille essentiellement en numérique sur le logiciel Illustrator, avec des vecteurs et des formes. Je crée mes personnages comme des sortes de marionnettes que j’anime et que je déplace. J’ai aussi créé des textures en aquarelle que j’intègre pour donner du relief. Ce procédé me permet d’avoir une vision colorée de mes pages assez vite et permet à Thierry de me faire des retours pour ajuster au millimètre la narration.

Quels plaisirs avez-vous pris et quelles galères avez-vous endurées pour cet album ?
Le temps peut être long avant de trouver la bonne ambiance pour une séquence et on a souvent envie de tout jeter par la fenêtre mais une fois que le puzzle s’assemble et que cela se construit, le pied est total. Ma façon de travailler tient plus du Lego que du dessin. 

Quel est votre degré de complicité avec Thierry Smolderen ? Intervient-il dans votre travail et vice-versa ?
Thierry était mon professeur à l’ESI d’Angoulême, il m’a mis le pied à l’étrier et je lui dois énormément. Nous avons continué à nous côtoyer après l’école en tant qu’amis puis il m’a proposé Souvenirs de l’empire de l’atome qui était pour lui aussi une nouvelle expérience. Il me pousse dans mes retranchements en allant chercher des références parfois à contre-pied, ce qui me fait toujours progresser. Etant aussi historien de la BD, il est sans cesse en recherche de perles historiques et modernes qui stimulent la créativité de tous ses dessinateurs avec qui il travaille comme Dominique Bertail, ou Laurent Bourlaud. Ma technique de travail permet pour lui d’avoir une vision presque finale de la page mais avec la possibilité de montage qui lui laisse la place de faire des ajustements jusqu’à la dernière relecture. Souvent je découpe les pages différemment de ce qu’il écrit pour le surprendre ce qui lui donne aussi l’occasion de rebondir sur de nouvelles idées.


A-t-il été plus facile ou difficile de composer L’Eté Diabolik en comparaison à Souvenirs de l’empire de l’atome?
Pour Souvenirs de l’empire de l’atome, tout était à trouver de mon côté, j’avais déjà flirté du côté du style sixties mais je n’avais pas poussé aussi loin. Il a fallu que je trouve mon trait dans toutes les références. De plus, nous ne savions pas à quoi le livre ressemblerait au final. Mais, du coup pour L’Eté Diabolik, nous avions déjà mis pas mal de choses en place. Mais comme nous changions de références et de climat, il a fallu reprendre presque à zéro. 


Je trouve que vous faites plein de clins d’œil : Tati (Mr Hulot), Edward Hopper, Pablo Picasso, M.C Escher… Je suppose que c’est voulu.
Bien sûr, beaucoup de clins d’oeil sont des citations directes mais certaines influences restent constantes avec des réminiscences d’un album à l’autre.
A quoi vont ressembler les dix prochains mois de votre année ?
Je travaille actuellement sur un livre « cherche et trouve » sur le cinéma pour les éditions Milan et demi et parallèlement nous travaillons sur un nouveau projet qui se déroulera dans les années 80.

Un très grand merci à Alexandre Clerisse.

INTERVIEW NICOLAS MATHIEU


Sorti en 2014 chez Actes Sud et remportant six prix, Aux animaux la guerre, n’était pas passé inaperçu. Incisif, corrosif et d’une brutalité sourde, le style avait marqué les esprits. Il ne pouvait alimenter qu’une histoire forte, de celles qu’on lit souvent dans les journaux mais qu’on ne voit plus forcément faire la une des JT. Les crises économiques, sociales, morales et humaines se succèdent et en deviendraient presque ‘banales’. Les personnages du roman vivent dans les Vosges, dans une région en grande difficulté. Quand une usine ferme, c’est l’ouverture sur tout ou plutôt sur rien. Le déclassement supplante le reclassement…alors on fait quoi ? Avec qui ? Pour quoi ? Pour qui ? Le premier livre de Nicolas Mathieu est plus un roman noir social qu’un polar. Il suinte le vécu. Il frappe par son authenticité et son âpreté. Il laisse des traces, une empreinte. Rencontre et explications avec un auteur à suivre. (février2016)


Est-ce qu’on peut dire que, de par votre parcours, vous portiez réellement  ce premier roman en vous ?
Oui, ce qu’on écrit c’est toujours la somme des millions d’expériences vécues avant de se mettre à l’écriture. Et en même temps non, parce qu’il m’a fallu près de quatre ans et demi pour en venir à bout. Au fond, c’est aussi un processus. Un travail. Ce n’est pas seulement la restitution d’une chose qu’on aurait accumulée. Ça se fait en se faisant.
D’où vous vient ce ton qui claque ? S’il n’y a pas de rage, que pensez-vous y avoir mis ?
Je n’écris pas par émerveillement devant la beauté du monde ou pour rendre hommage à quoi que ce soit. J’écris parce que je suis en colère. Parce que je pense que la vie nous fait la guerre et qu’il faut bien rendre les coups, de temps en temps. Les années passent, il y a les bleus à l’âme, les gens qu’on perd, ces filles qui nous échappent, ces erreurs incalculables. Il y aussi l’état des choses, presque toujours révoltant. Alors il faut bien fourbir ses armes et riposter. Le style est une tentative, la littérature en général. Boire un coup avec des amis aussi. Tout ce qui peut faire qu’on n’abonde pas dans le sens des choses.

Quelle lumière pouvez-vous apporter sur le très beau (mais opaque) titre de votre livre ?
Ce titre est tiré des Animaux malades de la peste de La Fontaine. J’aime l’idée qu’un livre soit composé de strates de significations, auxquelles on n’accède pas toujours. Ce titre en est un exemple. Dans cette fable, il est dit «Tous n’en mourraient pas, mais tous étaient frappés. » C’est exactement le sentiment que j’avais eu en assistant à des plans sociaux en 2008, en pleine crise des subprimes. On y lit aussi «selon qu’on soit puissant ou misérable. » Et effectivement, les mecs qui avaient produit les actifs pourris à l’origine de la crise, loin là-bas à Wall Street, ne semblaient pas touchés par les effets de cette crise avec la même force que ces ouvriers que je voyais à Maubeuge ou ailleurs. Enfin, «haro sur le baudet. » Car à la fin, quand rien ne va plus, il faut bien se trouver un bouc émissaire. Et c’est un peu le sujet qui demeure en filigrane dans le bouquin. Vers qui se tournent les prolos, les petits blancs, quand on leur a tout pris. A qui font-ils porter le chapeau ? Pire : sur qui vont-ils décharger leur colère ?

L’aspect social est très prégnant. Est-il, à votre avis, un élément indissociable du roman noir ?
Les termes social et politique sont employés dans des acceptions trop restrictives (au contraire du mot fasciste par exemple qui englobe des catégories toujours plus larges de méchants). Il me semble que, dès qu’on parle des rapports des hommes entre eux, il est question de social et de politique. Comment on se débrouille avec la nécessité de vivre en commun, comment on y parvient et comment on y échoue interminablement ? C’est tout ça qui m’intéresse. Et le roman noir a pour vocation de décrire des états du monde. Souvent les bas-fonds, mais pas seulement. Sa mémoire et son horizon, ça consiste toujours à dresser l’état des lieux des faces cachées. 

Il y a beaucoup de personnages dans votre roman. Quels sont ceux qui vous sont venus en premier ? Comment réussit-on à articuler leur vie, leur personnalité pour qu’ils intègrent parfaitement la matrice de l’intrigue ?
Rita est venue la première. Parce qu’en disant « elle », j’essayais de repousser le plus loin possible la tentation du « je ». Pour me protéger de cette mauvaise pente que j’ai longtemps eue, baigner dans mon nombril, me raconter, moi, mes soucis, mes frustrations, blablabla. Ce dont tout le monde se fout légitimement. Après, le travail de construction, de structure, c’est un truc de mécanique, de longueur et de peine. Faut bosser.

Eprouvez-vous de l’empathie pour vos personnages ?
Un auteur qui n’éprouve pas d’empathie pour ses personnages, je ne vois pas très bien à quoi il sert, vu que notre job, c’est précisément de permettre aux gens de se mettre dans les baskets des autres. Les médias suscitent de l’engagement et du clash. Sur chaque sujet, nous sommes mobilisés, presque au sens militaire du terme. Sommés de choisir un camp. Oui ou non. Pour ou contre. Indignés ou pas.
Le livre, au contraire, a le temps, et peut-être le devoir, de nous emmener dans la tête de l’autre. De nous identifier à ses désirs. 

La visite des Vosges que vous offrez aux lecteurs est glaciale et glaçante. Auriez-vous pu inscrire cette histoire dans un autre milieu socio-économique que celui-ci ?
Oui, mais avec un degré d’exactitude moindre. Cette terre avec laquelle j’ai un rapport pour le moins ambivalent, reste inscrite dans mes sens et ma mémoire. C’est celle que je pouvais restituer le mieux. On peut faire éprouver les motivations des personnages. On doit aussi essayer de transmettre les sensations que les gens, les paysages, les climats ont suscitées en nous.

Sur ce monde à bout de souffle que votre roman réaliste et pessimiste décrit, quel avenir vous lui prédites ?
Aucun. Ce n’est pas mon rôle d’envisager son avenir. Pas plus que de proposer des solutions. Je suis un témoin, un voyeur. Je me nourris du réel, j’essaie de le rendre, de parler à la place des gens qui n’en ont pas toujours l’occasion. Ça s’arrête là.

Quelle a été votre bande sonore durant l’écriture de ce roman ?
C’est difficile à dire. Il y a beaucoup de morceaux évoqués dans le livre, avec une tendresse particulière pour Kim Wilde. J’ai surtout essayé de rendre les ambiances qui baignent le milieu que je décris. Après, je me souviens avoir écrit pas mal de passages en écoutant de la musique de films. « Drive »notamment.

Face aux multiples prix qu’il a remportés, quelle a été votre réaction ?
La surprise pour commencer. Le soulagement ensuite, parce que j’ai longtemps eu peur d’être un raté. J’écris depuis toujours et  je craignais vraiment que ça n’aboutisse jamais, que je ne sois jamais publié, lu, reconnu. Ces prix m’ont permis de laisser ces angoisses derrière moi. Et d’en trouver de nouvelles (assurer pour le bouquin suivant par exemple).

A posteriori, quel(s) reproche(s) lui feriez-vous ?
Un manque de simplicité. L’absence du point de vue managérial aussi. En revanche, je sais qu’on me fait souvent le reproche de la fin en points de suspension. Là, je ne lâche rien. La vie ne s’achève jamais sur du sens. A chaque fois qu’on produit une morale à la fin d’une histoire, on triche.

Pour votre deuxième roman, pensez-vous rester dans cette veine roman noir social et incandescent ?
Oui. Mais l’intrigue se déroulera en été, car je n’en peux plus de décrire le froid, le gel, la neige, la buée qui sort de la bouche des personnages. Il fera chaud. A tous les points de vue.
Mais pour l’heure, je bosse surtout à l’adaptation de ce premier roman en série TV. Ce sera sur France 3 et sûrement en 2017. 

Un grand merci à Nicolas Mathieu.

LES RENCONTRES A VENIR

Un agenda chargé pour les quinze prochains jours > Mardi 17 novembre à 18h: dédicace de Patrick Gobert pour 70 ans d'histoire des comités d'entreprise (Editions du 1er Mai) * Vendredi 20 novembre à 18h: dédicace BD de Jacques de Loustal pour Carthagène (Aire Libre) en collaboration avec Raymond Depardon * Vendredi 20 novembre à 19h30: table pour la grande soirée du Press'tiv@l de Château-Gontier * Samedi 21 novembre à 14h30: dédicace jeunesse de Laure du Faÿ * Samedi 28 novembre à 15h: rencontre et dédicace de Marc Madiot pour Parlons vélo (Talent Sport). A ne rater sous aucun prétexte!

LAURE DU FAY EN DEDICACE

A l'occasion de la venue de Laure samedi prochain comme l'indique l'affiche jointe, je vous publie la chronique que j'ai préparée pour l'Autre Radio.



Laure du Faÿ

Nous allons bientôt recevoir à la Librairie une illustratrice jeunesse de talent, qui monte qui monte qui monte… Il s’agit de Laure de Faÿ.
J’ai rencontré Laure lors d’un Salon quand j’étais libraire  à Compiègne, nous échangions jusqu’à ce que nous découvrions que nous étions toutes les deux originaires de la Mayenne. Tout de suite ça nous a rapprochées…

Laure a d’abord fait parler d’elle en illustrant brillamment le très drôle « Ze vais te manzer » aux éditions Frimousse. Un album excellent à lire en zozotant.

Et l’année dernière, en fin d’année Laure a sorti avec sa tante Jacqueline, un album de Noël « Le cochon de Léon » aux éditions Sarbacane. Jacqueline du Faÿ est bien connue des Castrogontériens puisqu’elle travaille à la Médiathèque, dans le secteur jeunesse. Cette collaboration avec sa nièce a été l’occasion pour nous de les accueillir toutes les deux à la Librairie en décembre dernier et ça a été un vrai succès.

Mais Laure ne s’est pas reposée sur ses lauriers, loin de là ! Cette année elle a été sollicitée par les éditions Nathan, pour leur collection « Comme un grand », des albums tout carton, ludiques et éducatifs qui plaisent beaucoup. Il faut dire que le dessin de Laure est plein de douceur, de couleurs et de drôlerie, un style qui s’accorde vraiment bien à la Petite Enfance.
Enfin, tout récemment un grand imagier animalier vient de paraître chez Sarbacane, « Mon tour du monde géant des animaux » Très peu de texte, ce qui met en valeur le travail de Laure… et quel travail ! Quand vous allez vous plonger dans ce grand volume (de 50 cm sur 34), vous allez constater que c’est énorme. Les animaux sont présentés dans leur environnement naturel, ils sont listés à gauche avec leur nom en dessous, ce qui peut donner lieu à une sorte de « Cherche et Trouve » que les enfants adorent…  et je les vois très bien se mettre à quatre pattes devant l’imagier posé par terre en pointant du doigt tous les animaux. C’est une superbe idée de cadeau de fin d’année pour les 2-4 ans.


Nous sommes très très heureux d’accueillir Laure le samedi 21 novembre à la Librairie, de 14h30 à 17h30. Elle dédicacera tous ses albums et nous espérons vous voir nombreux à en profiter !


INTERVIEW PATRICK TUDORET



Il suffit d’un titre pour vous titiller, vous faire sourire. Vous ouvrez le livre et alors une belle découverte pleine d’émotions s’offre à vous. Sans crier gare. Si lire n’est certainement pas une fuite mais plutôt une façon de s’échapper, de suivre une multitude de sentiers non balisés, qu’est-ce qu’écrire ? Aux côtés de Tristan Talberg, un romancier émérite refusant les honneurs, L’homme qui fuyait le Nobel (Grasset) va vous faire marcher...jusqu’à Compostelle. Du fond jusqu’à la forme, tout m’a plu dans cette émouvante randonnée littéraire. Dans ce roman initiatique et cathartique, tout m’a surpris, du style à la maîtrise de la narration jusqu’à son approche quasi philosophique de la vie… Beau, bouleversant et drôle, ce roman met en lumière une générosité et une subtilité d’écriture qui ne demandaient qu’à en savoir plus sur son auteur. Patrick Tudoret répond à nos 10 questions !

Dans quelles circonstances est né L’homme qui fuyait le Nobel ? Comment vous est venue l’idée de départ ?
 En fait, l’idée est née d’une anecdote piquante qui m’est restée en mémoire : un jour le général de Gaulle reçoit dans son bureau de l’Elysée un baron politique à qui il compte proposer un ministère. Le futur ministre, évidemment – on l’imagine se tortillant d’aise sur sa bergère Louis XV – s’empresse d’accepter le maroquin tant convoité. Mais avant de clore l’entretien, de Gaulle, d’une voix sépulcrale, lui dit : « Etes-vous bien sûr, au fond, de ne pas préférer la vie à tout ça ? » Mon personnage, Tristan Talberg, en fait, est un homme qui préfère la vie à « tout ça ». « Tout ça » étant le Nobel, les ors du pouvoir, les vanités diverses et (a)variées qui nous guettent, nous engluent, nous empêchent de vivre, au fond… Le livre, oui, est aussi une réflexion sur le métier d’écrivain, car écrire est un métier au sens où l’ébénisterie en est un. Qu’est-ce qu’un écrivain peut accepter ? Jusqu’où peut-il aller dans ce qui est la part « non littéraire » de son métier…? Que peut-il moralement accepter ? 
Quel portrait feriez-vous de Tristan Talberg, le personnage principal ? En quoi vous ressemble-t-il et en quoi est-il à mille lieux de vous ?
Talberg est un double essentiel, à la fois proche et loin de moi. Comme le dirait Flaubert, je suis à la fois partout et nulle part dans ce livre. Talberg n’est certes pas moi. Il est plus âgé et je ne suis pas le misanthrope, a priori incurable, qu’il est au début du livre, heureusement, même si mon regard sur ce monde chaotique est souvent frappé d’un certain désenchantement. Au fond, peut-être est-il la part de moi que je récuse avec force, cette tentation de la désillusion qui guette tout être lucide. Etymologiquement – je joue beaucoup avec l’onomastique – Talberg veut dire « Vallée/Montagne », « monts et vaux » en quelque sorte, et cette sorte d’oscillation, qui est somme toute celle de la vie, lui ressemble, comme elle me ressemble. Prince à un moment, loqueteux la minute suivante. N’est-ce pas un instantané de l’être humain, tout simplement ? 
Est-il concrètement possible de fuir une récompense comme le Prix Nobel de littérature ? Comment voyez-vous l’attribution des récompenses dans le monde littéraire ? Ont-elles une quelconque signification pour vous ?
Talberg ne fuit pas le Nobel en tant que tel, même s’il trouve cette récompense un rien « naphtalinée ». Il fuit ce qui n’est plus lui depuis la mort de sa femme. Son métabolisme a été durablement transformé par cette mort et rien ne l’intéresse plus désormais que marcher, seul. Alors, le Nobel ou autre chose… Peu d’auteurs ont snobé le Nobel de littérature : Sartre, Beckett… et cela a sans doute encore ajouté à leur renom… Dans le monde marchand que nous connaissons aujourd’hui, refuser le Nobel serait quasi impensable. D’ailleurs, mon éditeur – avec humour – m’a supplié de l’accepter s’il m’était décerné. Il n’y a pas grand risque d’ailleurs. Je dis bien risque… Pour ce qui est des récompenses littéraires en général, je n’ai rien contre a priori – j’ai même eu la chance d’en avoir deux ou trois jolies –, mais je n’imagine pas écrire un livre « calibré » en vue d’un prix important, comme certains le font. Ecrire va mieux en écrivant..., sans tirer de plans sur la comète éditoriale. Ensuite, la réception d’un livre – qui est certes primordiale – nous échappe en grande partie…
Etait-ce délibéré de votre part de combiner émotions et humour dans un récit qui parle aussi bien de la Vie ?
Je suis, moi-même, ce mouvement-là : grave à certains moments, léger à d’autres. Comme je le fais dire à mon (anti)héros, « La pesanteur et la grâce », entre ces deux pôles irréconciliables, nos vies s’épuisent en oscillations paniques, fragiles et désemparées. L’humour est l’un des rares antidotes au tragique et je ne puis pas imaginer une vie sans ce recours-là. Le monde crève de l’esprit de sérieux. 
Qu’est-ce que la technique du roman semi-épistolaire vous a offert ?
D’abord une sorte d’hommage à une forme classique que j’aime, puis une liberté, au moins doublée, de perceptions, de points de vue, comme s’il l’on usait de deux caméras portant un regard différent sur le monde. 
J’ai adoré lire et relire ces lettres que Tristan écrit à son épouse aimée. Composent-elles les partitions d’un requiem ?
Votre image est belle et je me plais à penser qu’elles composent un ensemble d’une grande cohérence. Vous faites écho, en me disant cela à beaucoup de réactions de lecteurs qui me citent des passages entiers de ces lettres, comme si elles touchaient quelque chose de profond, d’intime, en eux.
Votre écriture est remarquable. Qu’est-ce que vous cherchez avant tout à privilégier au moment d’écrire ?
Merci pour cette appréciation. En fait, la leçon de Nabokov, immense écrivain doublé d’un grand professeur de littérature, a porté chez moi : un livre, c’est « structure et style », guère plus que cela, mais rien moins que cela. Il est vrai que je suis très attentif au style, parce bien souvent, je crois qu’il crée le fond, qu’il le sort de l’informe pour lui donner une forme. Dire d’un écrivain qu’il est un styliste pourrait signifier en filigrane qu’il est un « petit maître », mais regardez les grands prosateurs français d’aujourd’hui, ils ont tous du style ou UN style qui les ferait reconnaître entre mille : Pierre Michon, Marcel Moreau, Sylvie Germain, Linda Lê, Pierre Bergounioux, Pierre Jourde, Jean-Loup Trassard etc.  
Que représente le Chemin de Compostelle à vos yeux ? Si vous le parcourriez, dans quel but le feriez-vous ?
Je suis encore un jacquet contrarié, manquant de temps pour aller au bout du chemin, mais je connais beaucoup de lieux que je décris pour les avoir fréquentés. Comme Talberg, je suis un assez bon marcheur. Compostelle, c’est une vieille fascination qui remonte à l’enfance, à mon goût pour l’histoire, car c’est près de mille ans d’histoire. Aujourd’hui, c’est avant tout un élan, une soif profonde d’élévation, y compris spirituelle, dans un monde souvent enflé de son propre vide. 
Beaucoup d’écrivains ont écrit sur l’art de marcher. Quelles vertus attribuez-vous à la marche ?
C’est pour moi – comme pour Giono que je cite dans le livre – une affaire de style. Vous voyez, on y revient. Je n’aime pas les assis, ils m’ennuient. Je n’aime pas ceux qui courent, ils me fatiguent. J’aime ceux qui marchent. Et avant tout, comme Pascal, ceux qui cherchent. Car, ce n’est le tout de marcher, certains le font mécaniquement, sans aspiration, ça revient à s’arrêter. Or, comme le dit je crois un adage zen, « qui s’arrête se trompe ». Mon roman est un éloge du mouvement, donc de la vie.
Pour finir, un mot sur le Nobel de cette année et aussi sur le Goncourt.
La bonne nouvelle est que, cette année, ces deux prix majeurs sont allés à deux vrais écrivains, Svetlana Alexievitch et Mathias Enard. La moins bonne, est que ces choix sont un brin frottés de politique… Peut-on séparer littérature et politique ? L’ironie est que j’ai cette double formation. Mais, j’ai une telle foi dans la littérature que je dirais oui. Elle est tellement dans le monde, mais elle le surplombe tellement, aussi, qu’elle dit plus sur lui, en deux lignes, que n’importe quelle idéologie.
Un grand merci à Patrick Tudoret